25 mars, 2022
L’honorable Mary Ng, Ministre du Commerce international,
L’honorable Francois-Philippe Champagne, Ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie
Parlement du Canada,
rue Wellington Ottawa, ON K1A 0A9
Depuis octobre 2020, nos organisations—en concert avec les 80+ organisations de la People’s Vaccine Alliance—ont soutenu la proposition de l’Afrique du Sud et de l’Inde de lever temporairement les droits de propriété intellectuelle appliqués par l’accord de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce pour les vaccins, les traitements, les diagnostics et les équipements médicaux de lutte contre la COVID-19 (la dérogation à l’ADPIC ou le « TRIPS waiver »). Sur une base individuelle et collective, nous vous avons écrit à de nombreuses reprises pour exhorter le gouvernement canadien à soutenir cette proposition de lever temporairement les obstacles liés à la propriété intellectuelle, afin de proposer une réponse urgente et équitable à la pandémie de COVID-19 en cours—reconnaissant également que ces obstacles freinent la capacité mondiale à répondre collectivement aux futures pandémies.
Nous sommes déçus que le Canada n’ait pas appuyé cette proposition dès le début, mais notons que votre gouvernement a déclaré souhaiter travailler de manière constructive pour trouver une solution consensuelle à l’OMC qui serait acceptable pour tous les pays membres. Vous êtes certainement au courant qu’après 18 mois de pourparlers sur la proposition de dérogation, un document proposant un accord de compromis négocié par les États-Unis, l’Union européenne, l’Afrique du Sud et l’Inde (le Quad) a été publié. Ces pays ne semblent pas avoir officiellement approuvé la proposition.
À notre avis, ce document ne représente qu’un tout petit pas vers l’avant. Nous sommes préoccupés par les nombreuses failles contenues dans le projet de texte et par le fait qu’elles pourraient fortement limiter son impact. Nous exhortons donc le gouvernement canadien à ne pas accepter cette proposition dans sa forme actuelle, si et quand elle sera soumise au vote du conseil de l’OMC/ADPIC, mais plutôt à travailler ouvertement et démocratiquement avec les membres du Conseil pour corriger ses lacunes.
Plus précisément, nous attirons votre attention sur les failles suivantes contenues dans le texte de proposition de compromis des pays du Quad:
- Il ne couvre pas les tests ou les traitements COVID. La proposition ne couvre que les vaccins, à un stade de la pandémie où les dirigeants mondiaux reconnaissent que les tests et les traitements sont d’une importance cruciale. Si cette proposition est acceptée, les tests et les traitements seront potentiellement envisagés six mois plus tard, mais il n’y a pas de conditions définies à cet effet et cela devrait faire l’objet d’une décision distincte de l’OMC. Nous sommes préoccupés par les vies toujours menacées pendant cette période, avec près de 270 000 décès dus à la COVID-19 enregistrés dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire au cours des six derniers mois.
- Il ne couvre pas tous les obstacles de propriété intellectuelle à l’accès aux médicaments COVID. La proposition ne couvre que les brevets, et non les autres catégories de propriété intellectuelle abordées dans la proposition de dérogation initiale: droits d’auteur, secrets commerciaux, données non divulguées (en particulier les résultats d’essais cliniques) et conception industrielle. Bien que cela contribuerait à l’élimination du risque juridique qu’encourrait un producteur local dans un pays en développement qui tenterait d’utiliser des informations brevetées, cela ne faciliterait en rien l’étape suivante qui est de permettre et d’accélérer activement les efforts pour augmenter la production des vaccins et autres outils pour lutter contre la COVID.
- Il exclut des pays entiers. Il ne s’applique qu’aux « pays en développement » qui « ont exporté moins de 10% » des vaccins mondiaux en 2021, ce qui exclut la Chine et pourrait également exclure par inadvertance des pays moins développés. Cette portée étroite signifie que de nombreux pays disposant d’une capacité de fabrication importante de vaccins COVID-19 ne pourront pas se prévaloir de la dérogation.
Il pourrait imposer de nouvelles barrières à la production de génériques. La proposition ajoute des obstacles onéreux supplémentaires, comme l’obligation d’identifier tous les brevets couverts par une demande de dérogation, alors que cela n’est pas requis par les règles actuelles de l’OMC. Cet aspect est très problématique et risque d’être impossible à mettre en œuvre puisque les demandes de brevet an attente ne sont pas divulguées. En cas de pandémie, cela crée une incertitude juridique inacceptable pour les fabricants.
En vertu des règles de propriété intellectuelle imposées par l’OMC, quelques sociétés pharmaceutiques contrôlent l’approvisionnement et les prix des produits vitaux liés à la COVID-19. Elles ont vendu la plupart des vaccins et des traitements aux pays riches, réalisant des dizaines de milliards de revenus grâce à des produits développés avec le financement du gouvernement. Le compromis présenté, excluant les traitements et les diagnostics, pourrait permettre à des situations similaires de se produire en ce qui concerne les traitements vitaux.
Dans les pays qui ont initialement proposée la dérogation à l’ADPIC, le texte Quad est considéré comme inadéquat par la plupart des groupes de la société civile actifs dans la lutte pour l’accès aux médicaments. Le Canada pourrait subir des pressions à l’OMC pour appuyer cette proposition imparfaite et insuffisante, simplement en vue de simuler un consensus et un élan positif à l’OMC. Nous vous exhortons à adopter une position différente et à engager activement les membres de l’OMC pour faire les choses correctement. Nous encourageons donc fortement votre gouvernement à émettre les propositions suivantes pour améliorer la proposition de dérogation des pays du Quad:
- La dérogation devrait s’appliquer à tous les produits nécessaires pour prévenir, traiter et contenir la COVID-19, y compris les vaccins, les traitements, les tests de diagnostic, les dispositifs médicaux et les équipements de protection individuelle.
- La dérogation devrait s’appliquer à toutes les formes de propriété intellectuelle nécessaires à la production, y compris les brevets, les secrets commerciaux, la protection des données, le savoir faire de fabrication, les protocoles de contrôle de la qualité, les spécifications des équipements et les instructions d’utilisation.
- La dérogation devrait s’appliquer dans tous les pays membres de l’OMC.
- Les conditions de la proposition plus onéreuses que les dispositions actuelles de l’OMC devraient être supprimées. La dérogation devrait assouplir plutôt qu’ajouter aux règles actuelles.
Votre gouvernement a déclaré qu’il travaillerait de manière constructive pour trouver un texte de dérogation consensuel qui serait acceptable pour tous les pays membres. En travaillant en collaboration à l’OMC pour remédier urgemment à ces failles, le Canada peut contribuer à faire en sorte que les vaccins, les traitements et les autres produits liés à la pandémie soient traités comme des biens publics mondiaux accessibles à tous, comme l’a demandé le premier ministre Justin Trudeau en mai 2020. Le monde a assez attendu.
Cordialement,
Amnistie internationale Canada
Amnistie internationale Canada francophone
Centre canadien de politiques alternatives
Conseil Consultatif Universitaire – Association canadienne pour la santé mondiale Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP)
Le Conseil des Canadiens
Global Citizen
Réseau juridique VIH
ONE Canada
Oxfam Canada
Oxfam Québec
Partners in Health Canada
Alliance de la Fonction publique du Canada
Résultats Canada
Réseau pour le commerce juste
Réseau québécois pour une mondialisation inclusive (RQMI)
Union Nationale des Fermiers
cc: Randy Hoback, Ministre du Cabinet fantôme conservateur – Commerce international Gérard Deltell, Ministre du Cabinet fantôme conservateur -Innovation, Sciences et Industrie Brian Masse, Porte-parole NPD – Innovation, Science et Industrie, et Commerce international Elizabeth May, Chef parlementaire du Parti vert du Canada Simon-Pierre Savard-Tremblay, Porte-parole du Bloc Québécois – Commerce international Sébastien Lemire, Porte-parole du Bloc Québécois – Industrie