Lorsque les investisseurs appauvrissent les pays d’accueil à l’ère de la Covid-19

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Par : Hamid Benhmade.
Coordonnateur du Réseau québécois sur l’intégration continentale (RQIC).

Dans son programme de politiques commerciales publié il y a quelques jours, l’administration Biden promet de promouvoir un système commercial international inclusif. Prenant appui sur les alliances nouées avec ses partenaires, les États-Unis s’engagent à collaborer pour réformer l’Organisation mondiale du commerce. Certes, le commerce promet des avantages, mais non pas de manière à atténuer les écarts entre les pays développés et ceux en développement. Toutefois, l’engagement du nouveau locataire de la Maison Blanche, aussi louable soit-il, irait-il jusqu’à suspendre, voire mettre fin aux mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIÉ) ?

Les États à la rescousse de leurs économies

 En réponse aux conséquences désastreuses de la Covid-19, de nombreux gouvernements se sont mobilisés pour relancer leurs économies, protéger les emplois, sauver des vies et endiguer la pandémie. À cette fin, ils ont dû prendre une pléthore de décisions jugées discriminatoires par les investisseurs étrangers, notamment, dans les secteurs sensibles, entre autres, le secteur bioalimentaire et le secteur pharmaceutique. Alors qu’aux États-Unis, des mesures de réquisition d’usine pour produire du matériel médical ont été prises, en Allemagne et au Canada, des mesures moins drastiques ont été mises en place pour délivrer des licences obligatoires sur des médicaments brevetés. À ces mesures, s’ajoutent d’autres mesures pour interdire l’exportation des produits de première nécessité, y compris, l’hydroxychloroquine en Inde et le riz au Cambodge. Au nom de la sécurité économique, la Banque d’Angleterre a appelé les banques britanniques à ne pas verser de dividendes ni de bonus en numéraire. Au pays du soleil levant, le gouvernement a décidé de contrôler les capitaux étrangers afin d’encadrer la montée de fonds non nippons au capital de ses entreprises stratégiques, en l’occurrence, Sony et Toyota.

Le malheur des uns fait le bonheur des autres

Grâce au système de règlement des différends entre investisseurs et États, les investisseurs étrangers contournent les tribunaux nationaux et déposent des plaintes directement devant des tribunaux d’arbitrage privés. Durant sa campagne, le président Biden a critiqué ce système en déclarant : « Je ne pense pas que les entreprises devraient se doter de tribunaux spéciaux qui ne sont pas accessibles aux autres organisations ».

Présentement, plusieurs pays sont dans le viseur des investisseurs spéculatifs et des avocats à la recherche de litiges lucratifs. En 2020, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements de la Banque mondiale (CIRDI) a enregistré 77 nouveaux différends. Souvent, les montants réclamés sont vertigineux.

En vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), le Mexique est poursuivi par une entreprise de télécommunications américaine pour 2 milliards de dollars. Une plainte de 1 milliard de dollars est déposée par une société portuaire néerlandaise contre la Géorgie. Le Panama serait contraint de verser une indemnisation de 2,2 milliards de dollars au profit d’une entreprise de construction italienne. Une entreprise de construction brésilienne poursuit le gouvernement péruvien pour plus de 1,2 milliard de dollars. Pis encore, 2020 a vu l’application effective des sentences des années précédentes. Le Guatemala, frappée de plein fouet par l’ouragan Eta, a dû payer 37,4 millions de dollars à Teco Energy. Le Pakistan tente d’annuler une sentence de 6 milliards de dollars qu’il est supposé verser à Tethyan Copper Company.

Force est de noter que les pays en développement sont plus exposés aux poursuites intentées par les investisseurs étrangers. A priori, deux raisons peuvent être avancées pour expliquer un tel constat. D’une part, les pays à faible revenu sont politiquement et institutionnellement vulnérables. D’autre part, ils ont tendance à être le pays d’accueil plutôt que le pays d’origine des multinationales. Alors que les multinationales ayant leurs sièges en Europe occidentale ont déposé 25 plaintes en 2020, les gouvernements ouest-européens n’ont été la cible que de cinq poursuites RDIÉ. Idem pour les entreprises américaines et canadiennes qui ont intenté neuf poursuites, tandis que leurs gouvernements n’ont fait face à aucune réclamation d’investisseurs étrangers. Les régions les plus ciblées sont l’Amérique latine et les Caraïbes, avec 18 poursuites, l’Europe de l’Est et l’Asie centrale, avec 13 poursuites.

Figure 1: Les régions les plus poursuivies par les investisseurs étrangers, 2020

Source : Base données du CIRDI, 2020

C’est pourquoi 630 groupes de la société civile, parmi lesquels, le Réseau québécois sur l’intégration continentale, ont depuis l’année dernière tiré la sonnette d’alarme et exhorté les gouvernements à agir face à une pareille situation. Réformer l’Organisation mondiale du commerce, c’est mettre fin aux mécanismes de règlement des différends entre investisseurs et États (RDIÉ).

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